Kodak a inventé l’appareil photo numérique. Et l’a enterré pour protéger son activité.

En 1975, un ingénieur de Kodak invente le premier appareil photo numérique. La direction refuse de le commercialiser. Trente-sept ans plus tard, Kodak fait faillite. Cette histoire n’est pas qu’une leçon d’histoire. C’est un miroir.

L’entreprise qui a inventé le futur — et l’a refusé

Kodak n’était pas une entreprise ordinaire. Pendant un siècle, c’était le géant mondial de la photographie. À son apogée, dans les années 1990, Kodak employait 145 000 personnes et réalisait 16 milliards de dollars de chiffre d’affaires.

La marque était partout. Dans les mariages, les vacances, les naissances. « Moment Kodak » était devenu une expression courante pour désigner un instant qu’on veut garder.

En 2012, Kodak a fait faillite.

Ce qui rend cette chute remarquable, ce n’est pas que Kodak n’ait pas vu venir le numérique. C’est qu’ils l’ont vu avant tout le monde. Ils l’ont même inventé.

Et ils ont choisi de l’enterrer.

1975 : un ingénieur invente l’avenir

Steven Sasson était ingénieur chez Kodak. En 1975, il a assemblé un prototype d’appareil photo qui n’utilisait pas de pellicule. L’image était capturée sur un capteur électronique et stockée sur une cassette.

L’appareil pesait près de 4 kilos. La résolution était de 0,01 mégapixel — une image floue de 100 sur 100 points. Il fallait 23 secondes pour enregistrer une photo.

C’était rudimentaire. Mais c’était le premier appareil photo numérique de l’histoire.

Sasson a présenté son invention à la direction de Kodak. Il leur a expliqué que cette technologie allait progresser. Que les capteurs deviendraient plus petits, plus précis, moins chers. Que dans 15 ou 20 ans, tout le monde pourrait prendre des photos sans pellicule.

La direction a écouté. Puis elle a posé une question.

« Pourquoi est-ce qu’on voudrait regarder des photos sur un écran de télévision ? »

Le projet a été enterré.

Le raisonnement qui semblait logique

Du point de vue de la direction de Kodak, la décision était rationnelle.

En 1975, Kodak dominait le marché de la pellicule. Leurs marges étaient énormes. Chaque photo prise dans le monde leur rapportait de l’argent : la pellicule, le développement, le tirage.

Le numérique menaçait tout ça.

Si les gens prenaient des photos sans pellicule, Kodak perdait son produit phare. Si les gens stockaient leurs photos sur un ordinateur au lieu de les faire tirer, Kodak perdait encore.

Pourquoi lancer un produit qui détruirait l’activité principale ?

Le raisonnement était le suivant : « Nous gagnons de l’argent avec la pellicule. Le numérique supprime la pellicule. Donc le numérique est une menace, pas une opportunité. »

Ce raisonnement avait un défaut fatal.

Il supposait que le monde resterait immobile.

Ce qui s’est passé ensuite

Pendant que Kodak protégeait son activité pellicule, d’autres avançaient.

Sony a lancé son premier appareil photo numérique en 1981. Canon et Nikon ont suivi. Dans les années 1990, le numérique est devenu grand public.

Kodak a fini par réagir. Trop tard. Ils ont lancé leurs propres appareils numériques, mais ils n’avaient plus d’avance. Ils étaient devenus un acteur parmi d’autres, sur un marché qu’ils auraient pu dominer.

Le pire : Kodak détenait des brevets fondamentaux sur la technologie numérique. Ils auraient pu être au centre de chaque appareil vendu. Au lieu de cela, ils ont passé des années à attaquer leurs concurrents en justice pour violation de brevets — pendant que leur activité principale s’effondrait.

En 2012, Kodak a déposé le bilan. Leurs brevets ont été vendus. Leurs usines ont fermé. Une entreprise centenaire a disparu.

L’entreprise qui avait inventé l’avenir a été tuée par ceux qui voulaient protéger le passé.

Ce que Kodak n’a pas compris

Kodak n’a pas échoué par manque d’intelligence. Ils avaient des ingénieurs brillants, des moyens financiers considérables, et ils ont vu le changement arriver des décennies avant les autres.

Ils ont échoué parce qu’ils ont posé la mauvaise question.

La question qu’ils ont posée : « Comment protéger notre activité pellicule ? »

La question qu’ils auraient dû poser : « Si le numérique va remplacer la pellicule, comment être ceux qui mènent ce changement ? »

La première question protège le présent. La deuxième construit l’avenir.

Kodak a choisi la première. Et ils ont regardé l’avenir leur échapper.

Les signaux que Kodak a choisi d’ignorer

1975 : Leur propre ingénieur invente le numérique. Ils enterrent le projet.

1981 : Sony lance un appareil numérique. Kodak ne réagit pas.

1990 : Le numérique devient grand public. Kodak continue à miser sur la pellicule.

2000 : Les ventes de pellicule commencent à chuter. Kodak lance des appareils numériques, mais sans conviction.

2012 : Faillite.

Ce que ça change pour un dirigeant de PME

Vous n’êtes pas Kodak. Votre entreprise n’a pas 145 000 salariés ni 16 milliards de chiffre d’affaires.

Mais le mécanisme qui a tué Kodak existe dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.

Ce mécanisme, c’est la protection du modèle actuel au détriment du modèle futur.

Concrètement, ça ressemble à ça :

Un dirigeant voit qu’une partie de son activité s’essouffle. Les marges baissent. Les clients partent. Les concurrents grignotent des parts de marché.

Mais cette activité, c’est le cœur historique de l’entreprise. C’est ce qui a fait le succès. C’est ce que les équipes savent faire. C’est confortable.

Alors le dirigeant se dit : « On va redoubler d’efforts. On va améliorer ce qu’on fait. On va trouver de nouveaux clients pour ce produit. »

Il investit du temps, de l’argent, de l’énergie pour sauver ce qui existe.

Pendant ce temps, il n’investit pas dans ce qui vient.

Kodak a fait exactement ça. Ils ont mis toute leur énergie à défendre la pellicule. Ils n’en ont plus eu pour construire le numérique.

Les questions qu’un dirigeant devrait se poser

L’histoire de Kodak pose des questions simples. Ce sont des questions que peu de dirigeants prennent le temps de se poser.

Question 1 : Qu’est-ce qui pourrait rendre mon activité principale obsolète dans 10 ans ?

Pas « est-ce que mon activité va devenir obsolète ? » — mais « qu’est-ce qui pourrait la rendre obsolète ? ». La nuance est importante. La première question appelle une réponse rassurante (« non, on est solides »). La deuxième oblige à réfléchir.

Question 2 : Si un concurrent lançait aujourd’hui une offre qui détruit mes marges, à quoi ressemblerait-elle ?

Cette question force à se mettre dans la peau de quelqu’un qui voudrait vous prendre des parts de marché. Souvent, on découvre qu’on connaît très bien la menace — mais qu’on préfère ne pas la regarder en face.

Question 3 : Est-ce que je suis en train de défendre le passé ou de construire l’avenir ?

C’est la question centrale. Où va l’énergie du dirigeant ? Où vont les investissements ? Où vont les meilleurs collaborateurs ? Si tout va vers la protection de l’existant, c’est un signal d’alerte.

Question 4 : Si je devais créer mon entreprise aujourd’hui, est-ce que je ferais la même chose ?

Cette question révèle l’écart entre ce que l’entreprise est devenue et ce qu’elle devrait être. Si la réponse est « non, je ferais différemment », alors pourquoi continuer comme avant ?

Le piège de la lucidité tardive

Kodak savait. Ils savaient depuis 1975 que le numérique allait arriver. Ils avaient 20 ans pour se préparer.

Ils n’ont pas manqué de lucidité. Ils ont manqué de courage.

Le courage de cannibaliser leur propre activité avant que d’autres ne le fassent. Le courage de décevoir les actionnaires à court terme pour survivre à long terme. Le courage de dire : « Ce qui nous a rendus grands ne nous rendra pas éternels. »

C’est le piège de la lucidité tardive. On voit le problème. On comprend le problème. Mais on n’agit pas, parce qu’agir fait mal maintenant — alors que ne pas agir fera mal plus tard.

Et plus tard, c’est toujours trop tard.

Les dirigeants qui réussissent ne sont pas ceux qui voient le changement. Ce sont ceux qui agissent avant d’y être contraints.

Ce que Furtiveo en retient

L’histoire de Kodak illustre une vérité simple : la valeur d’une entreprise ne se mesure pas à ce qu’elle a fait. Elle se mesure à ce qu’elle peut encore faire.

Une entreprise qui protège son passé au lieu de construire son avenir perd de la valeur. Même si les comptes sont bons. Même si le chiffre d’affaires tient. Même si les clients sont encore là.

Parce qu’un acquéreur, un banquier, un repreneur, ne regarde pas seulement les chiffres passés. Il regarde la capacité de l’entreprise à générer des résultats futurs. Et cette capacité dépend des décisions que le dirigeant prend aujourd’hui.

Kodak avait tout : la marque, les brevets, les moyens, la technologie. Ils n’ont pas eu le courage de s’en servir.

Le dirigeant d’une PME n’a pas ces moyens. Mais il a quelque chose que Kodak n’avait pas : la capacité de décider vite, sans passer par des comités, sans attendre l’approbation de personne.

C’est un avantage considérable. À condition de l’utiliser.

Voir ce qu’on ne veut pas voir

Le problème de Kodak n’était pas l’information. C’était le regard. Ils avaient toutes les données, mais personne pour leur dire : « Vous êtes en train de faire une erreur. »

Furtiveo accompagne les dirigeants de PME qui veulent une lecture froide de leur situation. Pas pour rassurer. Pour voir ce qui doit être vu — avant qu’il soit trop tard pour agir.

Réserver un échange de 45 minutes

Conclusion

Kodak n’a pas été tué par le numérique. Kodak a été tué par des décisions. Des décisions qui, prises une par une, semblaient raisonnables. Protéger l’activité principale. Ne pas cannibaliser ses propres produits. Attendre que la technologie mûrisse.

Ces décisions ont coûté 145 000 emplois et 100 ans d’histoire.

La leçon n’est pas que le changement est dangereux. La leçon est que refuser de changer est mortel.

Kodak avait 20 ans pour se préparer. Ils ont utilisé ces 20 ans pour protéger ce qui les avait rendus grands — au lieu de construire ce qui les aurait rendus éternels.

La question pour un dirigeant de PME n’est pas « est-ce que ça peut m’arriver ? ». La question est « qu’est-ce que je fais pour que ça ne m’arrive pas ? »