Blockbuster a ri au nez de Netflix. Dix ans plus tard, ils fermaient.
En 2000, Netflix a proposé à Blockbuster de racheter l’entreprise pour 50 millions de dollars. Le patron de Blockbuster a failli éclater de rire. Dix ans plus tard, Blockbuster faisait faillite. Aujourd’hui, Netflix vaut plus de 250 milliards.
Le géant qui n’a pas vu venir le petit
Si vous avez plus de 35 ans, vous vous souvenez probablement de Blockbuster. Les magasins bleus et jaunes. Les rayons de cassettes VHS, puis de DVD. Le rituel du vendredi soir : choisir un film pour le week-end.
À son apogée, Blockbuster était partout. 9 000 magasins dans le monde. 84 000 employés. 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires. L’entreprise dominait le marché de la location de films.
En 2010, Blockbuster a fait faillite.
Ce qui rend cette chute remarquable, ce n’est pas que Blockbuster ait été dépassé par la technologie. C’est qu’ils ont eu l’occasion de racheter leur futur concurrent pour une bouchée de pain.
Et ils ont ri.
2000 : la rencontre qui aurait tout changé
En 2000, Netflix était une petite entreprise de location de DVD par correspondance. Le principe était simple : vous choisissiez vos films sur un site internet, vous les receviez par la poste, vous les renvoyiez quand vous aviez fini.
L’entreprise perdait de l’argent. Beaucoup d’argent. Les fondateurs cherchaient une porte de sortie.
Ils ont demandé un rendez-vous avec la direction de Blockbuster. L’idée : proposer à Blockbuster de racheter Netflix pour 50 millions de dollars. Netflix deviendrait la branche « en ligne » de Blockbuster, pendant que Blockbuster continuerait à gérer les magasins.
La rencontre a eu lieu au siège de Blockbuster, à Dallas.
Marc Randolph, l’un des fondateurs de Netflix, a raconté la scène dans ses mémoires. Quand ils ont annoncé le prix de 50 millions de dollars, le patron de Blockbuster, John Antioco, « a failli éclater de rire ».
La proposition a été refusée.
50 millions de dollars, c’était ridicule pour Blockbuster. Ils généraient 800 millions de dollars de bénéfices par an rien qu’avec les pénalités de retard.
Ce que Blockbuster voyait — et ne voyait pas
Du point de vue de Blockbuster, le refus était logique.
Netflix était une entreprise qui perdait de l’argent. Leur modèle — envoyer des DVD par la poste — semblait compliqué et peu pratique. Pourquoi attendre trois jours pour recevoir un film quand on pouvait aller au magasin du coin ?
Et surtout, Blockbuster avait quelque chose que Netflix n’avait pas : les magasins. 9 000 points de contact avec les clients. Une présence physique dans chaque quartier. Une marque que tout le monde connaissait.
Le raisonnement était simple : « Nous avons les magasins. Les magasins, c’est notre force. Pourquoi acheter une entreprise qui contourne les magasins ? »
Ce raisonnement avait un défaut fatal.
Blockbuster confondait leur force actuelle avec leur avantage futur.
Les magasins étaient une force en 2000. Mais les magasins coûtaient cher : loyers, employés, stocks. Et les magasins imposaient une contrainte au client : se déplacer.
Netflix proposait le contraire : pas de déplacement, pas de pénalités de retard, un catalogue plus large. C’était moins pratique à court terme (attendre la poste), mais ça répondait à une frustration réelle des clients.
Blockbuster n’a pas vu que leur « force » était en train de devenir leur faiblesse.
Ce qui s’est passé ensuite
Netflix n’a pas abandonné après le refus. Ils ont continué à développer leur modèle de location par correspondance. Puis ils ont fait quelque chose que personne n’avait prévu.
En 2007, Netflix a lancé son service de vidéo en ligne. Plus besoin d’attendre le facteur. Les films étaient accessibles immédiatement, sur l’ordinateur.
Blockbuster a regardé. Ils ont fini par lancer leur propre service en ligne, mais avec des années de retard. Et ils l’ont fait à contrecœur, parce que chaque abonnement en ligne était un client de moins dans les magasins.
Le problème de Blockbuster, c’est qu’ils ne pouvaient pas se battre sur les deux fronts. Chaque dollar investi dans le numérique était un dollar en moins pour les magasins. Et les magasins, c’était leur identité. C’était ce qu’ils savaient faire.
En 2010, Blockbuster a déposé le bilan. Les magasins ont fermé les uns après les autres. Aujourd’hui, il ne reste qu’un seul magasin Blockbuster au monde, dans une petite ville de l’Oregon, maintenu comme curiosité touristique.
Netflix, l’entreprise qui ne valait pas 50 millions de dollars aux yeux de Blockbuster, vaut aujourd’hui plus de 250 milliards.
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La chronologie d’une chute
2000 : Netflix propose de se vendre pour 50 millions. Blockbuster refuse.
2004 : Blockbuster lance enfin un service en ligne. Trop tard, trop timide.
2007 : Netflix lance la vidéo en ligne. Le DVD par la poste devient secondaire.
2010 : Blockbuster fait faillite. 9 000 magasins ferment.
2024 : Netflix vaut 250 milliards de dollars. Blockbuster n’existe plus.
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Le mépris comme erreur stratégique
Ce qui a tué Blockbuster, ce n’est pas la technologie. Ce n’est pas le manque de moyens. Ce n’est même pas la lenteur à réagir.
C’est le mépris.
Quand le patron de Blockbuster a failli éclater de rire devant les fondateurs de Netflix, il exprimait quelque chose de profond. Il ne prenait pas Netflix au sérieux. Il ne voyait pas comment une petite entreprise qui envoyait des DVD par la poste pouvait menacer un empire de 9 000 magasins.
Ce mépris a empêché Blockbuster de voir ce que Netflix représentait vraiment.
Netflix n’était pas une entreprise de DVD par correspondance. Netflix était une entreprise qui avait compris que les clients voulaient de la commodité. Pas de déplacement. Pas de pénalités. Pas de contraintes.
Le DVD par la poste n’était qu’une étape. La vidéo en ligne était la destination.
Blockbuster n’a pas vu ça. Ils ont vu une entreprise ridicule avec un modèle bizarre. Ils ont vu quelque chose à ignorer, pas quelque chose à craindre.
Le mépris est une forme de cécité. On ne voit pas ce qu’on refuse de prendre au sérieux.
Ce que ça change pour un dirigeant de PME
Vous n’êtes pas Blockbuster. Vous n’avez pas 9 000 magasins ni 6 milliards de chiffre d’affaires.
Mais le mépris des petits concurrents existe dans toutes les entreprises.
Ça ressemble à ça :
« Ce nouveau concurrent ? Ils n’ont pas notre expérience. Ils ne tiendront pas. »
« Leur offre est moins complète que la nôtre. Les clients sérieux viendront chez nous. »
« Ils cassent les prix, mais ils ne pourront pas tenir longtemps à ce niveau. »
« C’est un effet de mode. Ça passera. »
Ces phrases sont rassurantes. Elles permettent de ne pas remettre en question ce qu’on fait. Elles permettent de continuer comme avant.
Mais elles sont dangereuses.
Parce que parfois, le petit concurrent qui n’a pas votre expérience a compris quelque chose que vous n’avez pas vu. Parfois, l’offre moins complète répond mieux au besoin réel du client. Parfois, les prix cassés sont le signe d’un modèle plus efficace, pas d’une stratégie suicidaire.
Le mépris empêche de poser la bonne question : « Et si ce concurrent avait raison sur quelque chose ? »
Trois questions pour éviter l’erreur de Blockbuster
L’histoire de Blockbuster pose des questions simples. Ce sont des questions qu’un dirigeant devrait se poser régulièrement.
Question 1 : Qu’est-ce que mes clients détestent dans mon offre — même s’ils ne le disent pas ?
Les clients de Blockbuster détestaient les pénalités de retard. Ils détestaient devoir se déplacer. Ils détestaient le choix limité en magasin. Mais ils continuaient à venir, parce qu’il n’y avait pas d’alternative.
Netflix a construit son offre sur ces frustrations silencieuses.
Quelles sont les frustrations que vos clients acceptent aujourd’hui — mais qu’un concurrent pourrait résoudre demain ?
Question 2 : Quelle partie de mon activité est-ce que je protège par habitude plutôt que par stratégie ?
Blockbuster protégeait ses magasins. Les magasins, c’était leur identité. Mais les magasins étaient aussi un poids : des loyers, des employés, des stocks. Chaque magasin était un coût fixe que Netflix n’avait pas.
Quelle partie de votre activité défendez-vous parce que « c’est comme ça qu’on fait » — même si elle vous coûte plus qu’elle ne vous rapporte ?
Question 3 : Si un concurrent me proposait de s’associer ou de me racheter, est-ce que je l’écouterais vraiment ?
Blockbuster n’a pas écouté Netflix. Ils ont ri. Ils étaient trop grands, trop sûrs d’eux, pour prendre au sérieux une petite entreprise qui perdait de l’argent.
Quand quelqu’un vous propose quelque chose d’inattendu — un partenariat, une acquisition, une collaboration — est-ce que vous l’écoutez vraiment ? Ou est-ce que vous décidez avant d’avoir compris ?
La différence entre confiance et arrogance
Un dirigeant doit avoir confiance en son entreprise. Sans confiance, pas de décision. Pas de prise de risque. Pas de cap maintenu dans la tempête.
Mais il y a une ligne fine entre la confiance et l’arrogance.
La confiance dit : « Je connais mes forces, et je sais comment les utiliser. »
L’arrogance dit : « Je suis fort, donc je n’ai rien à craindre. »
La confiance permet de voir les menaces et de s’y préparer.
L’arrogance empêche de voir les menaces — parce qu’on ne croit pas qu’elles puissent nous atteindre.
Blockbuster était arrogant. Ils avaient 9 000 magasins, 84 000 employés, des milliards de revenus. Comment une petite entreprise de DVD par la poste pouvait-elle les menacer ?
Dix ans plus tard, ils n’existaient plus.
La taille ne protège pas. La lucidité, si.
Ce que Furtiveo en retient
L’histoire de Blockbuster illustre une réalité simple : les entreprises ne meurent pas parce qu’elles sont petites ou faibles. Elles meurent parce qu’elles cessent de regarder autour d’elles.
Blockbuster avait tout : la marque, les clients, l’argent. Ils n’ont pas eu la curiosité de comprendre pourquoi une petite entreprise proposait quelque chose de différent.
Pour un dirigeant de PME, la leçon est double.
Premièrement : ne jamais mépriser un concurrent, même petit, même apparemment fragile. Il a peut-être compris quelque chose que vous n’avez pas vu.
Deuxièmement : vos forces d’aujourd’hui peuvent devenir vos faiblesses de demain. Les magasins étaient la force de Blockbuster. Ils sont devenus leur prison.
Ce qui fait la valeur d’une entreprise, ce n’est pas ce qu’elle possède. C’est sa capacité à évoluer.
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Regarder ce qu’on préfère ignorer
Le problème de Blockbuster n’était pas le manque d’information. C’était le manque de regard. Ils avaient les données, mais personne pour leur dire : « Prenez ça au sérieux. »
Furtiveo accompagne les dirigeants de PME qui veulent une lecture sans complaisance de leur situation. Pas pour rassurer. Pour voir ce qui doit être vu — avant qu’il soit trop tard.
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Conclusion
Blockbuster n’a pas été tué par Netflix. Blockbuster a été tué par un éclat de rire.
Ce rire exprimait quelque chose : « Vous n’êtes pas sérieux. Vous ne pouvez pas nous menacer. Nous sommes trop grands pour vous. »
Dix ans plus tard, celui qui avait ri n’existait plus. Celui dont on avait ri valait des centaines de milliards.
La leçon n’est pas que les petits gagnent toujours contre les grands. La leçon est que le mépris est une forme de cécité. On ne voit pas ce qu’on refuse de prendre au sérieux.
La question pour un dirigeant de PME n’est pas « est-ce que quelqu’un peut me menacer ? ». La question est « est-ce que je prends au sérieux ceux qui pourraient me menacer ? »
